Le porc Ménapien
« Quand on aime ce que l’on fait et que l’on exerce son métier avec fierté et passion, on est sans cesse à la recherche de quelque chose d’autre, de mieux, d’innovant. C’est peut-être un peu bizarre qu’un boucher ou un éleveur doive pour cela s’en remettre à un passé lointain, mais c’est pourtant le cas. On retourne en arrière et on remet les compteurs à zéro pour bâtir quelque chose de neuf.
Le porc primal flamand
C’était l’idée de départ de notre aventure avec le porc ménapien, en quête du porc flamand ‘originel’. Ce voyage a commencé il y a deux ans avec Ruben Brabant, un éleveur porcin rencontré par hasard, comme souvent dans la vie. Nous nous sommes aperçus que nous cherchions tous deux la même chose et nous avons uni nos forces. Une connaissance commune nous a ensuite dirigés vers l’Université de Gand, où le professeur Benedikt Sas et l’archéologue Wim De Clercq se sont intéressés à notre démarche.
C’est grâce à eux que le puzzle s’est progressivement mis en place. Wim venait précisément de déterrer dans la région côtière les os d’un porc qui vivait là il y a deux mille ans environ. Normalement, les os ne se conservent pas si longtemps dans un sol acide mais, en raison de la chaux et des nombreuses constructions en glaise de l’époque, ceux-ci avaient échappé à la règle. C’était un coup de chance. Des recherches complémentaires nous ont appris qu’il s’agissait vraisemblablement d’un cochon mi-sauvage, mi-domestiqué qui provenait des bois environnants et dont la viande était particulièrement appréciée dans l’Empire romain. De nombreux textes anciens y font littéralement référence comme au porc « ménapien ».
Ruben et moi avions enfin trouvé notre graal ! Le nom de la race fait référence aux Ménapiens, le peuple gaulois qui vivait aux alentours de 50 av. J.-C. dans ce qui est aujourd’hui la Flandre occidentale, la Flandre orientale et la Zélande. Leur spécialité : élever des porcs. Pour conserver leur viande, ils la saumuraient et la salaient, si bien qu’elle restait comestible longtemps. Les Romains en étaient fous. Ils en approvisionnaient même leurs légions lors de leurs campagnes dans des contrées lointaines et inhospitalières. On peut donc parler du plus ancien produit d’exportation de Flandre.
Fort de ces connaissances, nous n’avions ‘plus qu’à’ faire renaître de ses cendres ce porc ménapien, entre-temps devenu presque mythique. Plus facile à dire qu’à faire. En clair, cela ne s’est pas passé comme dans Jurassic Park, le blockbuster réalisé par Steven Spielberg au début des années 90. L’ADN extrait des os retrouvés ne pouvait servir qu’à effectuer une éventuelle étude comparative a posteriori. Nous y arrivons tout doucement.
Mais d’abord, Ruben a dû chercher les meilleurs croisements qui nous mèneraient finalement au porc ménapien, ou du moins qui nous en rapprocheraient le plus possible. Sans dévoiler tous ses secrets, je peux vous dire qu’un sanglier et une série d’anciennes races porcines ont notamment été impliqués. Aujourd’hui, voilà près d’un an que les premiers porcs ménapiens se promènent dans sa porcherie de Nevele et alen - tour. Ce qui frappe immédiatement, c’est leur pelage sombre et dru. Ils ont sur le dos une sorte de crête qu’ils dressent quand ils veulent paraître plus imposants.
Si vous n’y faites pas attention, ils peuvent vous lacérer les jambes avec leurs impressionnantes défenses. Après tout, ils restent des animaux sauvages. Chez eux, le principe darwinien de la survie des plus aptes est une réalité. Après la mise bas, il arrive que les porcelets les plus faibles soient dévorés. Ces cochons sont aussi des animaux curieux et dotés d’un sens grégaire très développé. Quand l’un d’eux se montre obstiné, tous les autres font de même. Nos porcs ménapiens vivent en permanence à l’extérieur – douze à quatorze mois selon la destination que nous leur donnons –, ils sont très solides et ne reçoivent jamais d’antibiotiques. Les spécimens qui seront utilisés en charcuterie restent plus longtemps dehors, ce qui leur permet de développer un beau lard de dos et des jambons épais, bien gras. Les premiers abattages ont montré que la viande n’était pas aussi pâle que celle d’un porc classique. Elle est rosée à rouge foncé et présente une structure fine. Comme chez les sangliers, les fibres sont très serrées.
Suite aux divers croisements, elle est aussi assez lardée. Bref, elle réunit le meilleur de deux mondes. C’est aussi une viande très ferme, pas trop tendre. J’ai déjà fait mûrir pendant trois semaines de la viande issue de ces bêtes, ce qui était impossible auparavant. Les côtelettes de porc ménapien peuvent sans problèmes reposer pendant dix jours, elles n’en seront que meilleures, avec un goût plus prononcé. Excellent, ni plus ni moins. Sans parler de la graisse, qui a une saveur sauvage. Exactement ce que Ruben et moi recherchions. La seule chose qu’il nous reste à mettre au point, c’est leur alimentation. Des collaborateurs de l’Université de Gand sont occupés à déchiffrer les textes anciens pour savoir ce qu’ils mangeaient, quelles herbes sauvages poussaient à leur époque, etc. Nous avons déjà dépassé nos espérances, mais nous ne savons pas encore tout du porc ménapien. Nous venons de lever un coin du voile pour vous… »